La nouvelle thématique qui s'offre aux écrivants de la revue va, comme les précédentes, se diviser en 3 numéros. Pour ce N° 105, premier volume du thème"ça déborde ! ", il s'agissait de Récup et maraudes.
Pour ceux et celles qui ne connaissent pas la revue d'écritures, rendez-vous sur :
www.filigraneslarevue.fr
Ci-dessous ma participation :
Faire Famille
Le maître de maison a crié : « champagne ! » et la famille s’est
resserrée dans le salon. Le pétillant liquide doré a commencé à
couler dans les flûtes de cristal : « ça déborde ! » a hurlé le fils.
Plus tard, tous se sont retrouvés à table.
L’ambiance aussi était mousseuse. Le sapin clignotait, l’air léger
et ils allaient encore trop manger. Mais… mais il y a toujours un
mais. Aux treize desserts, une phrase, courte, a fusé comme un
pétard de papillote.
Et… et il y a toujours un et. Au nougat noir, au nougat blanc,
les phrases ont sauté comme des bombes.
« Tu dépasses les bornes ! » a lancé la fille.
Il y a des sujets qu’il vaut mieux ne pas aborder dans les
réunions de famille.
Maintenant il y avait trop de vaisselle sale, trop de papier cadeau
déchiré. D’ailleurs il y avait trop de cadeaux.
Trop. C’est un mot bref.
Quatre lettres : trois consonnes, une voyelle. Trop, c’est plus
qu’il ne faudrait. Mais si on lui ajoute une négation, la signification
change, ça devient « guère ». « Cela n’est pas trop sûr. »
Ce qui était sûr, les gens réunis là s’aimaient. Peut-être trop,
peut-être trop mal, mais ils possédaient au fond d’eux,
probablement sans en avoir conscience, tel un soleil de minuit :
« la décence commune » dont parlait Orwell.
Les soirs de fête sont des soirs d’oubli.
Les lendemains de fête sont des jours de repli.
Le surlendemain de fête, le monde nous rattrape. On ne court pas
aussi vite que le temps.
Alors l’Australie brûle, la Syrie est un champ de ruines, le
département voisin se noie, l’épisode méditerranéen a dévasté
la calanque. De toute façon, la Grande Bleue n’est plus bleue,
mais plastique. Un sale virus nous guette, mais nous ne le
savons pas encore.
« C’est l’effet papillon petite cause grande conséquence"*.
Modifier le monde devient le rêve du monde.
Tout de même, sur une plage d’Ibiza, il y a encore
des hippies qui saluent le soleil plongeant dans la mer.
Faire sa part de colibri.
Une minuscule fleur d’érigeron se multiplie bien à l’infini.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »
(Albert Camus)
*"L'effet papillon" (Extrait de la chanson de Bénabar)
Jeannine Anziani
Janvier et mai 2020
[1] Paroles chanson Bénabar