Perdre la mer. Laisser la maison.
Lâcher le bleu. Aller vers le vert.
Passer de la rondeur à l’aigu, des senteurs pénétrantes de
l’atmosphère salée à l’air piquant de la forêt.
Abandonner l’habité et partir vers l’inhabité.
Voilà, il le fallait. Fallait suivre le mouvement,
forcément. Elle n’avait pas le choix.
Quitter le chaud pour le froid, retourner à la terre,
retrouver les bois. Ça pouvait lui coûter cher. Peut-être y laisser sa peau ? Vrai ? Faux ?
En tout cas, pas facile de passer de la multitude à la
solitude.
A peine arrivée là-haut qu’elle regrettait déjà la petite
maison avec tous ces gens qui arrivaient, qui repartaient, les cris, les éclats de rire, les éclats de voix, la musique, la joie, le clapotis incessant des vagues, les repas improvisés sur la
terrasse ensoleillée, l’humidité envoûtante du soir, la torpeur des nuits d’été, les soirées à danser avec toujours à l’horizon si rassurantes les lumières de la ville, la vie et la liberté
d’aimer.
Mais à présent elle était seule, ou presque dans
l’appartement silencieux.
Ici ce soir noire la rue. Et plus loin, rien. Pas un bruit
dehors. Rien. Le vide. Que la montagne si proche, étouffante, oppressante, froide.
Maintenant, à qui confier ses états d’âme ? Et ces mots
qui se bousculaient dans sa tête, perdus, perdus, sûrement à jamais comme Le Petit Poucet dans sa forêt.
Cette forêt trop dense, trop sombre, trop verte qui
l’entourait et qui courrait à sa perte ?
Non, ce n’était pas une pensée raisonnable que de penser
cela. Mais c’était à cause de cette froideur, de cette raideur omniprésente du paysage qui se cachait derrière les volets. Pesanteur.
Monter dans la voiture. Sans se retourner.
Laisser défiler le paysage derrière le pare-brise.
Vert. Vert. Vert. Obstinément vert.
Amer. Austère.
Route si longue, si monotone. Toute entourée par ces arbres
si grands, si hauts, lugubres.
Aucun bruit ne filtrait à travers les vitres.
Rester assise, vide.
Et tout à coup, au détour d’un virage, la voilà qui lui
avait fait plisser les paupières, cligner des yeux.
Ce jour là elle était étale, avait mis sa robe couleur
d’opale. Ce jour là la mer brillait, étincelait dans le lointain, miroitait de mille feux. Enfin le blanc, le gris, le rose des toits, le bâti succédait à la nudité. Partout des constructions
s’enchevêtraient dans un joyeux mélange anarchique, se frottaient les unes contre les autres.
La voiture était coincée, bloquée dans l’embouteillage
classique de la fin de soirée, de l’entrée vers la grande ville. Des voitures partout, devant, derrière, sur les côtés, toutes arrêtées dans leur élan mais prêtes à rebondir dans
l’instant.
Un peu plus tard enfin la revoilà dans la cité bruyante,
bruissante, malodorante , s’ébrouant de toutes parts.
J'ai écrit ce texte lors d'un séminaire du GFEN en mai 2005, et je me souviens
de cette phrase d'Odette et Michel Neumayer lors du démarrage de l'atelier : "l'écriture n'est pas forcément un dévoilement de soi. Qu'est-ce que ça veut
dire d'être vraiment soi-même ?"