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24 janvier 2010 7 24 /01 /janvier /2010 14:19


Dimanche 24 janvier 1943 huit heures

 

« Tout souvenir se résout en regard » 4210440061_6ec2573211.jpg

Richard Hugo

 

 

Et si tout partait du regard ? De son regard personnel sur cet événement là. Une date historique. Certes. Mais une date mémorisée dans ma famille sans chiffres exacts. Parce que, plus que les chiffres, n’est-ce pas l’événement même qui ferait  la date ?

Etait-ce en 43 ? Oui, c’était en janvier 1943.

« La plus grande rafle que l’histoire ait jamais connue ».

Pas celle du Vel d’Hiv. à Paris. Non. Cette rafle s’est passée à Marseille. Dans les Vieux Quartiers. Afin de laisser le pouvoir en place déloger toute une humble population en un temps record et détruire en peu de jours un quartier décrété insalubre. Mais pourquoi ce secteur de la ville correspondait-il exactement à un tableau d’avenir que des urbanistes avaient présenté quelques mois plus tôt  à l’administration ?

Evidemment que des chiffres, hormis la date, on pourrait en aligner. Le nombre d’évacués. Combien étaient montés dans les trains aux lourdes portes plombées pour le camp de transit de Caïs à Fréjus. Combien y étaient restés. Combien avaient été déportés. Et après une semaine dans le froid et l’inconfort, combien étaient descendus des wagons à bestiaux le 1er février, juste à temps pour assister à l’explosion de leurs maisons. Chiffres implacables. En cela même trop impalpables ?

 

Alors, le regard.

Sur la tante Palade. La tante de ma mère. Une brave. Oui, l’adjectif est le bon. Une brave poissonnière comme celle de la crèche avec ses paniers sur les hanches. Raflée. Déplacée à Fréjus la Tante Palade. Est-ce qu’elle avait emporté ses paniers ce jour clair et glacé de l’évacuation ?

Parce que. Deux jours. Juste deux petits jours. Pas un de plus, pas un de moins entre le bouclage du quartier du Vieux Port et « la plus gigantesque opération de police » de l’histoire. Alors la batterie complète en cuivre est restée accrochée dans la cuisine. Les casseroles, les bassines à confiture, les fait-tout ventrus, restés à jamais dans l’appartement trop vite fermé à clé.

 

Regard.

Dimanche à six heures. Les voitures avec les hauts-parleurs.

« Habitants du quartier, pour des raisons d’ordre militaire, les hautes autorités militaires allemandes ont décidé de procéder à votre évacuation… Préparez-vous donc immédiatement à quitter votre domicile. N’emportez que des bagages à main… N’oubliez pas vos pièces d’identité et papiers de famille… »

 

Regards.

Sur ces grappes d’enfants inquiets se tenant par la main, ces femmes aux sourcils froncés sous leurs modestes fichus, ces hommes avec leurs ballots mal ficelés sur leurs épaules, chacun fouillé, vérifié, identifié, avant d’être entassés dans les tramways. Direction : la gare d’Arenc cernée par des centaines de soldats allemands. Et puis les trains.

Mais si peu de paroles sur cette période. Peut-être la honte ? Pour ceux qui étaient partis ? Sur ceux qui avaient laissé faire ? Mais guère d’ouvrages. Sur cette violence inéluctable, le désespoir et les larmes. Mais tellement rares les images d’archives, les photos en noir et gris. Laisser le moins de preuves possibles ? En interdisant dès le 16 janvier de photographier : les autos-mitrailleuses allemandes qui assuraient le bouclage ; les hauts gradés S.S., René Bousquet souriant à la dernière réunion des responsables de la destruction ; les gendarmes français, les perquisitions. La vie qui s’arrête, brutalement.

 

Dernier regard.

Le lendemain de l’évacuation.

Sur le quai du port. Sur cet amoncellement hétéroclite de matelas, ces pyramides de chaises à l’envers, ces barreaux de lits d’enfants, cet alignement de fauteuils cannelés, cette table en bois aux pieds tournés en chapelet qui semble attendre un hypothétique repas. Et montant la garde devant, cette mémé voûtée, sous son capuchon et son cache-nez, sentinelle frêle et dérisoire.

 

Après. Des équipes officielles dites de « récupération ».

Après. Des tonneaux de cheddite. Des kilomètres de cordeau détonant.

Après. 1er février, à midi quinze exactement, la première explosion.

Puis, chaque jour, jusqu’au 19 février. Les détonations. Les immeubles écroulés. Les nuages de fumée. La poussière.

 

 

- Documentation : Marseille 1943 - "La fin du Vieux Port" (Gérard Guicheteau)

   "La rue qui descend vers la mer" (Nicole Ciravegna)


(Texte publié dans le N° 64 de la revue Filigranes "Une date forcément")

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7 janvier 2010 4 07 /01 /janvier /2010 08:00


Le 6 janvier de l'année dernière je n'ai pas vu les rois mages ni la Befana. Juste, en quelque sorte  le ciel m'était tombé sur la tête !
Et ça fait mal le ciel qui vous tombe sur la tête !
En même temps qui peut dire que sa vie est toujours rose ?
S'il y a le côté pile, il y a le côté face, l'ombre et la lumière, la pluie et le soleil...
On ne peut prendre l'un sans l'autre.

Un an après je peux annoncer que l'histoire s'est bien arrangée mais à l'époque j'ai passé de méchants moments. Et puis fin janvier 2009 se tenait un séminaire de la revue Filigranes. La thématique était " Corps palimpseste".
J'ai d'abord pensé que je ne pourrai rien écrire sur le sujet sauf que Odette et Michel Neumayer possèdent le don de vous pousser vers l'écriture.
Et comme une mini psychothérapie, j'ai écrit un texte.
Je vous le livre ci-dessous :

  La-haie-004.jpg

                               
Moral sous zéro

 

Pareille à la claque brutale d’un ennemi qu’on aurait pas
vu surgir, la douleur l’a saisie par surprise, puis
sournoisement s’est installée, étalée, emplie d’arrogance
tout en haut du plexus solaire.


Est-ce  si grave ?
Regarde : il fait beau aujourd'hui
Pourquoi ne pas se dire que c'est un jour béni ?

Pourquoi ne pas parier que tout va s’arranger

Et que le moral à zéro va être englouti

Avec la tartine de confiture d’abricots.


La brûlure glaciale a transpercé le cœur et figé le sang.
Impossible de fuir la sensation ni la tumultueuse émotion
qui lui agite sous le nez des ombres chinoises. Ne voit-elle
pas que ce ne sont que des chimères dont elle n’a pas à 
s’emparer ?


Après elle mettra son grand chapeau de paille
aux bords frangés…


Poncer, nettoyer, brosser, essuyer avec un chiffon couleur
de brume les griffures d’hier et d’aujourd’hui. Rien n’est
jamais vraiment fini.

Elle ira,
le bouquin en cours de lecture à la main, s’asseoir

Dans le soleil de la terrasse :

 

« Mon ennemi votre ennemi
c’est vous
c’est moi.
Le criminel
dort d’un point menaçant.
S’est-il caché

dans mon infâme faiblesse ? »

 

Souffrance alors aussi encore un peu toujours un peu trop.
Heureusement sa civilisation a inventé le cachet à dissoudre
les coups du sort les coups de sang les coups de cœur les
coups de pied d’un zèbre familier choisissant par une nuit
sans lune de janvier d’échanger ses rayures contre des
rafales de vent violent. Un zèbre zinzin devenu un étrange
étranger que les siens ne reconnaissent plus.
                                                                                

Elle ira à travers la haie
parler à la voisine des intempéries…

 Des derniers mois qui ont fait quelques dégâts…
Dans leur vie…
 

Rincer, sécher, surfiler de fil doré la douloureuse blessure
en s’efforçant de fredonner que rien ne dure. Si seulement
tous arrêtaient de faire semblant… que tout aille bien tout
le temps parfaitement. Apparemment.

Apparemment apparemment apparemment
                                                       
Elle aimerait certainement vivre légèrement
apparemment.


Mais ce truc situé à gauche dans sa poitrine s’est mis à changer
de cadence comme un métronome détraqué : cric
crac cric crac crac crac crac cric crac cric cric et le soleil a
entamé sa descente derrière le grand platane dénudé.

 

Elle décidera qu’il vaut mieux rentrer retrouver
La chaleur de la maison,
se lover sur les coussins rouges du radassier
,

reprendre sa lecture :

                                                    

«… Tout s’absente

et s’apaise

moi-même je ne suis plus

rien

qu’une parcelle

du

temps » .

 


  Extraits d’Exorcismes de Jean Tardieu

 

(Texte publié dans le N°74 de Filigranes « Le corps palimpseste »)

                                                  
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9 décembre 2009 3 09 /12 /décembre /2009 07:07

 

De l’hébreu !

 

 

 ! ! ! § § §  * * *  Mentalement tous les jurons passent… « Qu’est-ce que je fous ici moi ? »

Jo soupire, ne sait plus quelle attitude prendre, se maudit, maudit le cousin qui l’a emmené à cette fête et lâchement abandonné, lâché au milieu de convives parlant tous cette fichue langue inconnue, ce charabia auquel il pige que dalle peau de balle, l’hébreu ! C’est un état agaçant, dérangeant, frustrant : ouvrir la bouche pour n’articuler que quelques vagues borborygmes.

Une jeune femme s’approche, lui tend en souriant un verre de vin rouge en lui disant quelques mots d’anglais. Ouf ! Il va pouvoir utiliser la langue de Shakespeare qu’il connaît un peu ! Seulement la fille enchaîne sans problème et il ne comprend goutte ! Elle parle trop vite et trop bien pour lui, c’est pas de bol !

Jo pense qu’il a fait le tour du monde… ou presque ! Mais toujours en bande, en groupe, voyages organisés, aseptisés, avec interprète à la clé…

Ce soir, c’est raté, impossible de se couler dans son numéro de baratineur invétéré ! Comment se débrouiller sans son humour sarcastique, son ton ironique, sa culture politique, ses références drolatiques, ses réparties diaboliques, son imparable logique, son énergique dynamique ?

Ce soir, Il a l’impression d’être nu !

Ses yeux photographient le minuscule carré de pelouse, les fleurs exubérantes dont il ne connaît pas les noms, la modeste maisonnette devant laquelle les barbecues sont installés avec les viandes qui grillent, et ces effluves mêlées d’épices viennent chatouiller son odorat, le font saliver. Ses sens aiguisés lui renvoient palpable intense vivante, l’atmosphère de convivialité, l’ambiance chaleureuse du kibboutz, la tiédeur lourde de cette soirée de printemps, le chant oriental qui s’échappe du bungalow.

La jeune femme revient, cette fois-ci avec une assiette de brochettes.

-  Toda raba.

Ça, il sait dire, ça veut dire merci. C’est d’ailleurs à peu près tout ce qu’il sait baragouiner dans ce satané langage.

La fille sourit toujours. Communiquer. Oui, mais comment ?

Les gestes. Oser des gestes, des mimiques.  Montrer le cousin là-bas, en train de parler, lui, avec des copains. Mais comment raconter sa vie en France ? Echanger des idées avec cette israélienne avenante aux yeux rieurs ? Parvenir à se faire comprendre ? Comment se construire une identité sans l’aide de la parole ?

Ils s’assoient côte à côte pour manger leur viande. Manger sans parler. Apprécier le goût. Il se frotte le ventre, fait : « hum… », se juge débile, à la navrante impression de redevenir un homme primaire, un homme des cavernes.

Mais sa voisine éclate de rire, se lève à nouveau, revient un peu plus tard avec des assiettes en carton débordant de tranches de pastèque et de melon. Jo en prend une et leurs mains se frôlent, un léger frisson lui secoue les épaules. La jeune femme se rassoit sur le banc à ses côtés. Grignoter son melon en silence lui parait étrange.

Tout autour, des voix, des cris, des rires, la musique de cette langue que tout le monde parle à laquelle il ne comprend rien et lui, dans sa bulle de silence.

Une sensation inconnue lui tombe dessus. Comme si son cœur se mettait subitement à battre sur un autre tempo, plus lent, plus calme. Comme si son esprit se glissait dans un autre univers où les codes auraient changé, comme s’il posait brusquement ses bagages. Soudainement il se sent plus léger, il est bien.

Des hommes et des femmes passent, lui tapent sur l’épaule, lui font un clin d’œil, lui adressent trois mots qui n’attendent pas de réponse. Quelle importance, quelle importance au fond tous ces discours perdus ?

Certains moines tibétains ont bien renoncé à prononcer un seul mot.

Et si, pour lui, avoir supprimer la parole avait pulvérisé ses certitudes, supprimé les différences, raccourci les distances, renversé les barrières, abolit les frontières, engloutit les religions ?

Là, parmi ces inconnus, ce langage étranger, lui l’agnostique laïque éprouve une impression nouvelle et curieuse, l’impression de faire partie d’une fraternité, d’une humanité commune. Communion. Emotion.

Comment ça, émotion ? Lui, le critique aux cyniques répliques sous le coup d’une émotion ?

La fille d’a côté se tourne vers lui, le regarde. Comment ne s’était-il jamais rendu compte de tout ce qui pouvait passer à travers un regard ?

 

                                                          
Paru dans le N°63 de Filigranes "Découper le monde avec la langue"      
                                   

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23 novembre 2009 1 23 /11 /novembre /2009 07:12

Côté impression

 


Joseph le pêcheur

   

Nous l’avons repéré tout de suite cet homme sans savoir qui il était. Parce qu’au milieu de la calanque où tout reposait dans la moiteur de la canicule : la mer, les bateaux, les gens, il n’y avait que lui, silhouette mince et grisonnante sous un chapeau de paille qui s’agitait à tirer des bords carrés sur un ridicule optimist usagé. L’optimist étant, comme chacun sait, un petit voilier destiné en principe aux enfants.

Après force tours et retours, le marin avait accroché son embarcation à une bouée, avait sauté dans un canot à rames, était allé à terre, était revenu prendre son voilier… avait recommencé son manège.

Un peu plus tard, nous avions appris qu’il s’agissait d’un des deux pécheurs corses résidant sur la baie et nous faisions connaissance sur la plage.
- Bonjour... dites, on nous a dit que, peut-être, on pouvait vous acheter du poisson... ou des langoustes...
- Ah ooui ! Mais là, il est déjà tard et je dois partir à l'hôpital voir mon père...
-  Bon, et bien, c’est pas grave. Nous reviendrons demain.

- Oui, oui, parce que là, je n'ai qu'un chapon, nous répond le pêcheur prénommé Joseph que nous avons suivi dans sa cabane meublée d'un amas hétéroclite d'objets les plus divers, et il est pour le Maire.
Et Joseph sort le gros poisson écarlate d’un frigo rouillé, repart vers la mer. Nous lui emboîtons le pas.

-  Il faut que je le vide, dit le pêcheur qui ouvre le chapon à l’aide d’un couteau, plonge le poisson dans l’eau. Ah, zut, le foie s’est échappé… Bon, tant pis pour le maire, bougonne-t-il, et tant mieux pour la bavarelle ! Regardez, rigole-t-il en nous montrant le minuscule poisson baveux qui se régale à grignoter le morceau tombé dans l’eau.

Puis, voilà notre homme qui repart vers sa cabane ouverte à tous les vents. Nous le suivons à nouveau. Le pêcheur ouvre son frigidaire, remet le poisson vidé de ses entrailles à l’intérieur.

-  Ah, tout de même, c’est bien que vous ayez ce frigo, dit mon mari.

-  Oui, répond le pêcheur, ça fait des années qu’il ne marche pas…

 

 

 

Côté surimpression

 

 

Et dehors, phénoménal, tonnait l’orage…

 

Voilà, c’est fini.

Lui, les yeux fermés, sa belle et vieille tête entourée de bandelettes, le corps nu sous le drap blanc, repose sur une méchante civière dans ce couloir sinistre et sous une lumière crue.

Nous, les enfants, petits et grands, faisons cercle autour de lui. L’infirmière en chef nous l’a dit doucement mais fermement :

- Faites vite, vous avez peu de temps. Nous avons téléphoné, ils vont venir le chercher.

Nous étions au courant. C’était son choix à lui. Fait et claironné aux quatre vents depuis fort longtemps. Quand la vie s’arrêterait, il ferait don de son corps à la science. De toutes manières, regard clair et foutu caractère, cet homme toute sa vie n’avait su faire que ça, donner ! Alors ma foi, même mort, il se débrouillait pour continuer !

Elle, elle se tient bien droite, debout à l’avant de l’étroite civière, la silhouette digne, aucun négligé dans la tenue, les yeux grand ouverts. Pas de larmes et tant de retenue. Il y aurait presque l’ébauche d’un sourire sur les minces lèvres pour une fois sans rouge.

Et tout à coup, elle se penche vers le visage de l’époux, pose ses mains racées de chaque côté des épaules de son homme. Elle se penche et ce sont comme des images au ralenti, elle se penche et pose longuement sa bouche sur sa bouche à lui.

Sûrement, le temps s’est arrêté.

C’est alors, dans ces minutes suspendues entre la terre et le ciel, et sous les éclats à peine assourdis d’un incommensurable orage, que retentit la voix ferme et assurée de ma mère :

- Oh, mon Chouchou, mon Chouchou adoré, comme je t’aime.

 

 

 ( Textes parus dans le N° 68 de Filigranes : "Galerie de contemporains")

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12 novembre 2009 4 12 /11 /novembre /2009 06:57


Une aventure alphabétique

 

C’était un très beau livre, je l’ai pris dans mes mains :

« L’aventure des écritures »

Naissances

Bibliothèque Nationale de France

 

Je n’avais pas trop de temps, je l’ai feuilleté… Il m’a renvoyé vers Baptiste qui, en cette rentrée, apprend à écrire.

D’une main malhabile il dessine sur la feuille de papier :

         a         e         i         o         u

puis il s’agit d’apprendre les syllabes :

         pa         ba         la         lo         lu

Les lettres m’interpellent et à travers l’écriture de l’enfant je redécouvre combien ce sens transcrit est précieux. Quasi miraculeux.

Savoir lire, savoir écrire, pour pouvoir dire, communiquer, transmettre.

Des lettres, des mots pour la connaissance. Je réalise quelle chance c’est.

Sans les signes magiques, ce serait un peu comme si j’évoluais dans un monde obscur, un univers sans lumière pour me guider dans l’humanité.

Comment ces lettres sont-elles parvenues jusqu’à moi ? Par quels arides chemins se sont-elles faufilées ?

Par exemple le Z, dernière lettre de l’alphabet. Quel parcours aventureux, que de risques encourus pour parvenir jusqu’à nous ! D’ailleurs, il est arrivé bon dernier ! Mais enfin, il est là ! Ouf ! Est-ce que nous réalisons ceci ? Comment ferions-nous sans lui ?

Sans lui, point de héros romantique au masque noir. Et comment nommerait-on ces endroits où l’on peut regarder des animaux sauvages sans la crainte de se faire manger par une lionne affamée ?

A présent, prenons une gentille petite virgule. Comment écririons-nous sans virgule ? Oui, je sais, je ne dirai pas de nom, d’aucuns s’y sont essayés, de se passer de ponctuation. Tout de même, une virgule, c’est pratique, ça permet de res-pi-rer.

Maintenant, ces signes sur le papier, ce sont les miens, lisibles par moi et ceux qui m’entourent.

Qu’un jour de grand mistral à faire rouler toutes les poubelles du boulevard Périer d’en haut jusqu’en bas, un de mes si précieux textes s’envole jusqu’en… Mongolie Extérieure ; qu’adviendra-t-il ?

Le mongol ayant aperçu ma feuille vagabonde perdue au milieu de l’aride steppe, descendra de son cheval, ira la ramasser et n’y comprendra goutte.

Mais comme notre homme a une âme sensible, le goût de l’ordre, le sens du hasard sacré, il emportera le papier, remontera sur son cheval et filera au grand galop vers la yourte familiale.

Là, ma feuille voyageuse passera de main en main, avant que la grand-mère de la tribu ne se lève en hochant la tête, puis après l’avoir délicatement roulée telle un parchemin sacré et l’avoir attachée d’un ruban violet, aille l’archiver entre deux morceaux de tissus chatoyants.


 

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9 novembre 2009 1 09 /11 /novembre /2009 08:01



Le dimanche matin, il y en a ceux qui vont faire leur jogging, celles qui plongent avec délice dans une piscine pour un maximum de longueur de bassin, ceux et celles qui enfourchent un vélo, celle qui prépare un pantagruélique repas dominical et celui qui  préfère rester sous la couette jusqu’à midi… Ces deux derniers rôles étant interchangeables…

Mais il existe aussi, sur cette terre, d’honorables personnes qui ont choisi de passer un dimanche matin à traquer la virgule fugueuse, les points de suspension ayant perdu un des leurs, l’accent qui s’est inversé…

Oui, il reste encore dans cet univers quelques femmes et quelques hommes qui croient en la beauté d’une parfaite écriture ou du moins d’essayer de s’en approcher.

Donc, avant la parution d’un exemplaire de la revue Filigranes, ces doux rêveurs se retrouvent chez Odette et Michel Neumayer, directeurs de la revue, pour les dernières vérifications des textes sélectionnés lors d’un précédent séminaire.

A ce propos je rappelle que les séminaires sont ouverts à tous, gratuits et se tiennent à Aubagne 3 fois par an.

Je fais partie de ces doux rêveurs.

Je pense fermement que l’orthographe, la grammaire, la ponctuation, les figures de style qui rythment notre langue française enrichissent non seulement l’écrit, mais nous profitent également car c’est à partir de ce travail-là que notre pensée tout entière va devenir opulente.

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4 novembre 2009 3 04 /11 /novembre /2009 18:55

Les aficionados de ce blog noteront tout de suite une petite différence, le texte libre qui se trouvait dans la colonne de droite → a été remplacé par : pourquoi un blog ?
Cependant, comme certains m'ont dit qu'ils aimaient bien ce récit de falaises et de jazz et moi-même y tenant tout de même un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout ! Non pas, pas du tout, bon ce texte me plaît assez quoi ! Donc pas de disparition définitive, le revoici là ↓ . En prime le revoilà... en entier ! 


         Les falaises du Trayas


Ah, parlons-en de ce que papa appelait sa maison de campagne !
Nous n’avions jamais compris qu’avec un gendre architecte, l’auteur de nos jours se soit obstiné à faire construire par un simple maçon une bâtisse banale et sans grâce au début d’un lotissement, au pied d’un village sans caractère et avec une vue imprenable sur les fumées des usines de Gardanne !

Père généreux au sale caractère ! Quand il avait une idée en tête, il n’écoutait plus ni sa femme ni ses rejetons. On avait eu beau se récrier contre son projet, la construction s’était faite. Il estimait qu’il avait fait une affaire… raison primordiale… Voire…

Mais peut-être y avait-il une cause plus profonde au rejet commun à ses trois enfants de cette demeure sans âme.

 

Le refus avait le goût du glorieux temps béni des vacances de notre enfance et portait un nom : Antibes.  

Etés d’Antibes au temps du jazz de Sydney Béchet.

Au demeurant, la résistance avait des bases solides : les souvenirs des pèlerinages estivaux où, avec insouciance, nous remettions nos pas dans les pas du jeune garçon qu’avait été notre géniteur.

Oh ces images des vieux films usés montrant les villas louées au-dessus de la plage de la Salis, pile en dessous du phare de la Garoupe. Nostalgie.

Et ces clichés fanés d’une certaine rue de Cannes : LA rue du commandant André, où les grands parents avaient ouvert leur premier magasin, en arrivant de Turquie… Mélancolie.

L’aversion se nourrissait aussi d’odeurs.

Effluves chaudes de la pissaladière de la boulangerie de Vallauris, la boulangère étant la sœur de lait de papa.

Mais encore, fragrances enivrantes, parfum entêtant du jasmin de Grasse. Histoire mille fois racontée des fleurs fraîchement cueillies aux aurores par les petites mains de mon père et de sa sœur, avant qu’ils n’aillent les vendre quelques sous aux distilleries du village.

Enfin la contestation était écarlate.

La rébellion avait une couleur,  celle  des falaises rouges du Trayas d’où il fallait plonger comme notre père avait plongé en compagnie de ses cousins, quand il avait douze ans.
Imprégnation.

 

(Texte paru dans le N° 58 de Filigranes "Du rouge dans le paysage"

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1 novembre 2009 7 01 /11 /novembre /2009 15:06


                                                      Deux = Un

   

Temps d’automne, feuilles qui tombent… les us et coutumes de la saison et de la commémoration exigeraient qu’ils arborent visage triste, humeur morose et âme en peine. Mais aussi loin que leurs souvenirs remontent, ce 1er novembre rassemblant sous un ciel souvent gris le frère et les sœurs sur le sentier malaisé, n’a jamais été pour eux synonyme de chagrin. Leurs pots de chrysanthèmes dans les bras, c’est plutôt un sentiment fraternel d’unité et de paix dont ils sont imprégnés, dés qu’ils s’immobilisent devant la première tombe du premier cimetière, celui des étoiles.

Etoile inavouée ?

Alignés devant l’austère dalle de marbre noir ils ne parlent pas, attentifs à la mélopée du gardien psalmodiant la prière. Puis, après avoir déposé leurs fleurs et comme le veut la tradition une pierre ramenée de ci, trouvée de là, sur le marbre lisse et froid, ils redescendent le sentier caillouteux recouvert d’aiguilles de pin et de noix de cyprès. Et les voilà devant la petite porte.

 
Une si banale petite porte de ferraille verdâtre.

Ouverte le jour, fermée la nuit.

Passage étroit reliant deux mondes, deux cimetières, deux religions. Mais cette traversée là, sans frontière, est leur histoire, leur héritage, leur fortune, le trésor secret enfoui au fond de leur cœur. Franchir la porte comme un rituel sacré renouvelé chaque année 

 

Le deuxième cimetière est celui des croix.

Croix affichée ?

Ils ont passé la porte et par une étonnante alchimie, l’air est devenu comme plus léger. Ils n’ont pourtant fait que quelques pas, ils sont pourtant toujours dans la même ville, mais leurs cœurs sont moins lourds et leurs langues se délient. Ils parlent de tout et de rien et c’est un rien aérien. Les voici arrivés dans l’allée des Vernis du Japon, parce que dans ce cimetière-ci, les allées ont des noms. Devant le deuxième tombeau qui se donne des airs de petite chapelle, les vieux enfants posent leur deuxième pot de chrysanthèmes et comme tous les ans s’essaient à déchiffrer leurs racines, les noms dédorés par le temps apposés sur un des côtés de l’oratoire familial.     

  

Ne reste plus qu’à refaire le chemin en sens inverse. Ils marchent et leurs pas résonnant si clairs sur les pavés disjoints révèlent leur vérité. Il n’y a rien à nier, rien à rejeter. C’est une évidence qui atteste. Oui, c’est possible d’avoir une double appartenance. Il est si simple de tout garder et tellement, tellement prodigieux de choisir de ne pas choisir.


(Texte paru dans le N°67 de Filigranes "Intime vs Extime)

 

 

 

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12 octobre 2009 1 12 /10 /octobre /2009 16:59


Les Baklavas

 


Eté 1963 - Corfou

Mon oncle Robert entretient des relations d’affaires avec un vieux grec, responsable de je ne sais plus quel bureau. L’héllène est plus sec qu’une aiguille de pin, plus ratatiné qu’une pomme reinette, plus fripé qu’une vieille dentelle. Des cheveux gris crantés et brillantinés, une fine moustache poivre et sel, des yeux de cocker triste lui donnent un vague air d’acteur de cinéma muet.

Le grec a un bureau situé à quelques pas du port.

On est en juillet, de quoi préférer la plage à l’ancienne colonie minoenne ! Mais enfin, faut bien visiter, s’agit que mes seize ans s’instruisent. Alors, ma tante Rachel me traîne vers les monuments historiques, puis nous déambulons sur les quais.

Or, sur qui tombons-nous, une fois sur deux ? Sur notre grec ! Toujours vêtu d’un pantalon gris au pli impeccable et d’une chemise blanche immaculée fermée jusqu’aux poignets. A chaque rencontre notre homme se précipite sur ma tante en la regardant d’un air béat. Elle, elle me lance un regard en coin qui veut dire « aide-moi ». Elle doit finir par être à court d’idées et d’excuses pour se débarrasser du bonhomme qui la poursuit depuis des lustres !

Mon oncle l’a baptisé : "l’amoureux de Rachel" ! 

 

Ce jour là, au programme, balade dans l’antique cité avec étapes interminables devant les étals du marché : colliers et bracelets argentés, chapeaux de paille, longues robes chamarrées, statuettes, icônes contrefaites, copies de vases aux couleurs criardes, fausses amphores… Ma tante marchande, j’achète une bague incrustée de corail…

Soudain. Rachel regarde sa montre.

-          Nom de Zeus, on va rater le caïque !

Courir. Vite. Vite. Vite.

Le bateau fait la liaison entre le port et notre village, de l’autre côté de la baie. Reste juste quelques pas à faire pour monter à bord. Quand tout à coup, des cris stridents. Des cris à vous percer les tympans. On se retourne, comme tous les autres passagers.

Le soupirant de ma tante court dans notre direction, le plus rapidement possible sur ses jambes maigrelettes. Il agite à bout de bras un paquet cartonné fermé d’une ficelle dorée. Baragouinant moitié grec, moitié anglais, le petit vieux, tout essoufflé, offre la boîte à ma tante. Il a un grand sourire sous sa ridicule moustache et se fend d’une courbette !

Tous les passagers se marrent. Rachel, rougissante comme une gamine prise en faute, prend le paquet de gâteaux d’un air gêné et remercie d’un air pincé le petit vieux à l’air transi !

-          Tonton a raison, lui dis-je pendant la traversée, il est amoureux de toi, ce grec !

 

Ben, franchement, cet oriental n’a pas mauvais goût !

Un aspect porcelaine de chine, une taille menue et bien proportionnée. Des yeux bleus qu’on ose même pas regarder en face. Et ce que je sais et que le petit vieux ne sait pas : la dame est sujette à des fous rire phénoménaux, vous balance tout à trac un répertoire complet de chansons d’opérette, possède une érudition impressionnante, une modestie à toute épreuve, pratique l’art de la fantaisie avec constance, la joie de vivre avec application.

Là, pour le coup, elle a plutôt l’air de mauvaise humeur.

Haussant les épaules, les yeux à faire pâlir de jalousie le ciel de Grèce deviennent plus vifs.

-          Pffft ! Le pauvre, qu’est-ce qu’il s’imagine ? Et ses gâteaux ? Baaaaah… trop mielleux, trop huileux…

-          Tatiiiiiiie, t’as même pas ouvert le paquet ! Comment tu sais ? Et si y a des baklavas dedans ? Moi, J’adore les baklavas…

-          Regarde, rétorque-t-elle, péremptoire, faisant une grimace en me montrant le dessous de la boîte, déjà toute grasse… en plus, on va se tacher !

J’ouvre la bouche pour faire objection. Trop tard ! Hop, le paquet de gâteaux passe par dessus bord ! Mon envie de douceur au miel coule à pic. Je ravale ma salive. Mais Rachel éclate de rire, met un de ses bras autour de mes épaules, me colle un bisou sonore sur une joue, ajoute.

 

-          T’inquiètes pas, va ! Ceux-là n’étaient pas bons, mais j’connais une pâtisserie à Athènes. On y mange les meilleurs gâteaux du pays ! On ira et on ne mangera que des gâteaux, là !

Faire un repas que de gâteaux ? J’avais jamais au grand jamais, fait une chose pareille !

 

Quinze jours ont passé, quand on se laisse tomber sur les confortables chaises de la pâtisserie promise. J’ai l’impression confuse d’être une écolière faisant l’école buissonnière.

-          Et « sui-là », dit Rachel à la serveuse, et « sui-là » et encore « sui-là »…

Elle me fait un clin d’œil. Les gâteaux s’accumulent sur notre table.

Cake aux raisins, macarons marrons, baba au rhum, à la crème, tarte aux prunes, aux abricots, meringues neigeuses, biscuits au citron ; courambiers blancs et dodus, vassilo pitta, et … couleur d’or : des baklavas.

 

 


  Gâteau grec fait d’amandes pilées et de miel

  Gâteau grec avec des graines de sésame



 (Texte paru dans le N°62 de la revue Filigranes)

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23 septembre 2009 3 23 /09 /septembre /2009 05:21
 
 
Pas le temps !
 
  
Avant ? Pas l’temps, pas l’temps, hélas, vraiment pas l‘temps.
Maintenant ? Toujours pas l’temps, pas l’temps, réellement pas l’temps.
Demain ? Pas l’temps, pas l’temps, probablement…
Tant de choses à faire, à défaire, à refaire… Tant de gens…
 
      - ET MOI ALORS, hurle Ecriture, en s’étranglant d’énervement, du temps pour moi, y’en a donc jamais ?

La bougresse a raison !
Si je t’oublie Ecriture …                                             Je passe à côté.
 
       - Ecriture adorée, complice des heures dérobées, des minutes volées, sans toi, je n’existerais pas ! Là, tu es contente ? Sans toi, je perds la tête et la mémoire.
Ecriture, tu es mon indispensable. D’ailleurs, si je t’abandonne, c’est tout simple, je tombe malade ! Si je te délaisse, je n’ai plus d’identité. Rien. Je ne suis plus que... rien.
Quoi, que dis-tu ? Tu voudrais être la seule, l’unique ? Mais il faut bien la vivre, la vie, avant de la mettre sur le papier… Il faut bien le gagner son pain quotidien…
 
Ecriture, fille exotérique, tu le sais bien, que c’est toi qui m’a ouvert la porte qui va vers l’autre. Que c’est toi qui m’a permis de mettre de la distance, délivrance au présent, au passé simple, au passé composé. Toi qui m’a incité à relever des défis : être, épuré ? Avoir, atomisé ! Tu m’offres un voyage à l’infini-tif. Et n’est-ce pas en ta compagnie que j’apprends la patience, m’initie à la modestie, et avec constance, ose vider les tiroirs secrets ? Et, entre une chronique brodée au point de mer, à la virgule du vent et un roman inachevé, entrer en grâce.
 
Ecriture, fille publique qui te donnes à qui veut bien te prendre, tu me pousses vers un crayon noir, un stylo bleu, vers des mots contre lesquels je me cogne.
Mots vite jetés sur le papier.
Puis patiemment malaxés, laborieusement travaillés.
Obsédants, envoûtants.
 
     - Mots, que me voulez-vous ? Pourquoi vous acharnez ainsi ?

Les lettres de l’alphabet tournent dans la tête.
Les verbes s’entêtent.
Les phrases palabrent.
Des fois, je les déteste, je les HAIS. Je les jette. Je les pleure.
Je les oublie. Et vient la nuit.
Alors… une lettre. Non, pas celle-là. Je n’en veux pas !
Puis… une syllabe. Un mot. Une phrase. Un paragraphe. Au secours !
Le texte s’insinue, prend sa place, envahie tout…
Un soupir sonne l’alarme : faut y aller ! Dépendance !
Voici venu le temps du doute, à la recherche d’une improbable reconnaissance.
 
Oh, j’entends "miaou"…
Voilà le rouquin qui vient sauter sur mes pages étalées. Assurément, la bestiole me rappelle à l’ordre.  L’animal a faim. Voyons, il est l’heure de passer l’aspirateur, de préparer le repas… des félins et des humains…
 
La boucle est bouclée ?                                              Bonsoir Clara.
 
 

(Texte paru dans le N°61 de Filigranes)

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