N°102 de la revue Filigranes :
Thématique de l'année Emprunts, empreintes
et pour le volume 1 de cette série de 3 recueils sous-titre : Quat'z'arts !
Pfffttt ! j'ai de plus en plus mal à me glisser dans les contraintes de Fili... en même temps, le risque est seulement d'être refusé lors de la sélection des textes. Pas franchement dramatique ! D'autant plus, qu'une fois encore, ma production fera partie des élus... Allez le voici :
Où il est question d’un sous-préfet,
d’un triptyque en laiton doré
et d’un portrait
Littéralement à bout d’énergie, je me jette sur mon lit, mon cher sous-préfet sous le bras.
Comprenez celui d’Alphonse Daudet avec son bel habit brodé, son petit claque et son épée de gala à poignée de nacre…
Une seule option m’apparait, me lancer sans tarder dans une de mes occupations favorites : librocubilariste assumée.
Félicité.
À distance de la métropole brouillonne, des fureurs de la société, ma chambre est comme un cocon, sous la protection de fétiches familiers.
Fétiches d’ici, fétiches d’ailleurs, des jours de pluie, des coups de cœur.
Pile au-dessus de mon oreiller, un fin triptyque en laiton à la dorure fanée, objet de culte liturgique ramené de Grèce dans les années 60, offert à mes parents, m’accompagne vers autrefois. Heureuse nostalgie : Athènes, un antiquaire du Placa… probable pillage d’une église… inconscience de mes seize ans.
Réminiscence sur ma gauche, minutes suspendues : une galerie de photos en noir et blanc.
Réminiscence sur ma droite : une fine bouteille emplie des sables colorés du Néguev, rappel d’une scabreuse virée dans le désert.
À coté du sable, l‘inoffensif dauphin bleu en céramique. Lui, il est venu en voilier de Minorque…
Tant de marques en creux, en relief, légères ou profondes, chics ou banales comme autant de tatouages.
Tout de même. Maintenant est absent.
Sur un des murs de la chambre-cocon, un portrait imprègne l’air. C’est mon tableau.
Entendez mon portrait. J’ai vingt ans, une queue de cheval une longue chemise aux rayures bleutées et aux manches retroussées.
Peinture palimpseste. Car moi seule sait qu’en contrepoint, sous le vêtement flottant, se cache désormais trois vertèbres soudées et les armatures rigides d’un méchant corset.
Il y a autre chose de planquer sous le trait du peintre, notre amicale complicité et sa tendre « prezzatura ».
Traduisez élégance nonchalante.
Tourner la page.
C’est que mon sous-préfet s’impatiente.
« Il avait mis son habit bas ; et, tout en mâchonnant des violettes, M. le sous-préfet faisait des vers. »
Jeannine Anziani