Renaud Lavillenie est allé chercher la médaille d’or du saut à la perche sur son ultime tentative à 5,97 m ! Le Français
apporte le neuvième titre de ces Jeux aux Bleus et la 30ème médaille à la délégation française.
Et quelle leçon ! Quel exemple. Renault ne nous dit rien de moins que :
Le geste est précis, efficace, doux en même temps, la raclette balaie la surface
lisse, le chiffon passe et repasse. Et la vitre pourrie devient transparente…
« L’habit ne fait pas le moine », nous savons ça n’est-ce pas ? Dans le cas de cet homme-là, celui qui
lave les vitres pour gagner son pain quotidien, c’est encore plus vrai !
Omar est laveur de vitres le jour, certes, ne rechignant pas non plus à prêter main forte pour des travaux divers et variés. Il
sait encore se transformer un peu en jardinier, maniant le sécateur avec dextérité tout en parlant poésie !
Mais, le soir venu, cet Omar, se transforme en musicien dans les cafés de Marseille.Musicien et poète dans l'âme.
Et voilà qu’hier matin, les roses du jardin en ont rougi ! L’Homme a suspendu ses travaux de bricolage et moi je me suis
accordée un entracte.
Omar, venu gentiment changer les cordes d’une guitare abandonnée et retrouvée par
Petit-Fils (le laveur de carreaux a un cœur plus gros qu’un dix tonnes chargé à bloc) nous a donné une ballade musicale !
Omar, en plus, il est bavard… de fugue en ré mineur, ou de Django Reynhardt ! Alors le voici en train de nous narrer la vie
du guitariste manouche.
Octobre 1928, un incendie se déclare dans la roulotte où le musicien vit en compagnie de sa première femme,
Bella.
Or celle-ci était marchande de fleurs, des fleurs en celluloïd — matière très
inflammable — Dans la roulotte, les fleurs s'entassaient quand tout à coup, au contact d’une bougie renversée, elles s’enflamment,détruisant la caravane et blessant assez gravement le couple.
Django surtout est sérieusement atteint à la jambe droite mais aussi, hélas, particulièrement à la main gauche...
Celle-ci cicatrisant très difficilement, il va rester près de 18 mois à l’hôpital, où les médecins pronostiquent des séquelles qui
l'empêcheraient de rejouer de la guitare. En définitive, Django perdra l’usage de deux doigts.
Cependant, Django Reynhard ne concevant pas son existence sans pouvoir gratter les cordes de sa guitare, après 6 mois de
travail sans relâche, mettra au point une nouvelle technique et continuera à jouer jusqu'à la fin de sa vie.
Malmousque, c’est un quartier de Marseille, pas très loin de chez moi. Un petit port de pèche
pittoresque où se blottissent dans un joyeux capharnaüm demeures bourgeoises, cabanons, maisons de pêcheurs.
C’est également là qu’Albert Adésias Albert avait élu domicile il y a 20 ans, pour ne pas être trop loin de son ami d’enfance,
L’Homme.
Dans sa petite maison rose, il recevait régulièrement ceux qui avaient eu la chance de croiser sa
route. Il y avait les invitations officielles mais il y avait surtout des repas improvisés.
Au petit bonheur la chance figurait aux menus de Malmousque : soupe chinoise, poisson grillé,
daube, choucroute Une choucroute en direct d'Alsace ! ,
aiolli…
Un rite s’était vite mis en place. Arrivé devant le N° 8, évidemment il fallait appuyer sur la
sonnette. Invariablement Albert se penchait à la fenêtre de sa cuisine située au premier étage :
- Ouiiiiiiiiiiiiiiii, c’est pour-côa ?
- Euh... c'est bien ici qu'on donne à manger ?
Fini. Intégrer cette idée-là : c’est fi-ni.
Désarroi est le mot juste.
Après l’incompréhension, l’incertitude : « Non, ce n’est pas vrai, ce n’est pas
arrivé ! » Puis la colère : « Tout de même il exagère de nous avoir fait ça ! De nous avoir abandonné ! »
Ce soir, plus de colère ni d’incertitude. Reste la Grande Peine.
Reste à accepter le départ de l’ami et continuer à cheminer sans lui à nos
côtés.
Container pour le verre, container pour le plastique, container pour les papiers... Ploc, plic, plac, je
balance dans les insterstices du recyclage pots, bouteilles, journaux...
Au pied du container papiers, une photo traîne sur le trottoir.
Machinalement je la ramasse.
La photo (10 x 15), couleurs, en bon état, me renvoie l’image peu banale d’un homme entre deux âges. Un homme à terre... « on est si peu de choses… »
Une phrase me vient à l'esprit : "Et Narcisse ne se reconnut pas".
La photo dans la main, je m'installe dans ma voiture et la détaille. D’abord les cheveux, il n’y en a pas beaucoup, c’est certain, ça fait radin ! Les sourcils y sont, c’est plutôt un
atout ! A tort ou a raison j’ai toujours pensé que les sourcils étaient un signe de caractère ! Reste à savoir quel caractère …
Pour mon goût, les yeux sont trop petits.
Quoi ? Qu’ai-je écrit ? Que les yeux étaient
petits ?
Les yeux sont grands évidemment. Grand ouverts sur le monde et
surtout sur les gens. Enfin c’est une hypothèse…
Le nez maintenant. Lui, ni en trompette ni trop grand ; je vous
l’accorde, le nez est par-fait. Dommage, peut-être que s’il avait été un brin plus long… vous savez c’est à cause de cette histoire du nez de Cléopâtre…
La bouche m’a l’air bien, des lèvres pleines et…
souriantes.
Quant au menton, ma foi, il me semble qu’il part un peu en
vacances.
L'homme était sans détour, d'un abord un peu rude mais je préfère ce genre de personnes à d'autres plus mielleuses se révèlant en général au fil du temps hypocrites et
insidieuses.
En fait, ce jardinier n'était pas venu si souvent en 20 ans s'occuper de nos quelques mètres carrés de verdure parce que... allons ne parlons pas d'argent...
Mais enfin, c'était notre jardinier.
Seulement l'horticulteur avait une passion autre que les fleurs, c'était un fou de moto.
Une petite route de campagne, la rencontre avec une automobile... voilà, le jardinier mal léché désormais ne taillera plus que les jardins du Bon Dieu.
Apprenant aujourd'hui la nouvelle, j'ai eu envie de lui rendre hommage.
L'année dernière, le jardin avait donc pris rendez-vous avec son coiffeur ! Ce coiffeur était bourru, ronchon, grognon et venait de Gonfaron : le pays où les ânes volent.
C'était un vrai bonheur que de voir « l'endroit où le plaisir s'achève » reprendre figure humaine !
Cela faisait un sacré bail qu'il n'avait pas vu l'homme de l'art, le jardin ! D'ailleurs le jardinier ronchon grognon bougon avait ronchonné, grogné, bougonné que les arbres avaient été
"massacrés" (mon époux appréciant moyennement le jugement !)
J'avais soupiré d'aise, les haies étaient lissées, le laurier-tin devant la maison faisait la boule, les grands arbres avaient pris un air détaché, le mûrier un style japonais. Le printemps
allait pouvoir arriver, la lumière jouer à travers les feuillages, le soleil se fracasser sur la terrasse dégagée.
Quant à moi, les jours suivants, comme les lézards j'avais pu me mettre à paresser avec le chat en savourant la belle ouvrage.
Les épisodes ayant toujours lieu le samedi matin à 13 heures.
Surtout pas un autre jour et surtout pas avant midi !
Notez bien le jour et l’heure, le fait avait son importance.
Guy laissait sa voiture dans une ruelle adjacente à l’avenue du Prado (Marseille) ; le plus souvent mal garée à cheval sur un trottoir. Mais à cette heure là, en principe, les flics ne passaient plus. Comme la plupart des gens, ils étaient probablement en train de casser la graine !
Lui, un vieux panier à bout de bras se dirigeait vivement vers les étals du marché.
-Mais pourquoi t’envoie pas ta femme, avait demandé un jour un copain (macho ?)
-Ma femme ? Non sûrement pas. Elle ne sait pas faire ça, elle se ferait avoir !!! Et puisfaut aussi pouvoir porter le panier et les cageots…
A 13 heures, déjà, presque plus de chalands entre les étals et les vendeurs commençaient à remballer ce qui leur restait. C’était le moment stratégique où notre ami intervenait sur le devant de la scène. Traduisez un premier étalage :
-Vos artichauts, là, vous les faites à combien ?
Une minute plus tard, banco, notre homme se retrouvait nanti de 2 plateaux d’artichauts…
Une minute plus tard, nouveau repérage, courgettes compétitives en vue.
-Vos courgettes, là, vous les faites à combien ?
Voilà, vous avez compris, l’astuce se trouvait ici. « Jamais le dimanche » (le marché !) Aussi, plutôt que de repartir avec des fruits et des légumes invendus, à garder jusqu’au lundi… les marchands préféraient brader leurs produits.
Les fruits et légumes, c’est bien connu, ne raffolent pas des manipulations et sont sensibles au temps qui passe.
Bon, c’est certain, fallait aimer les artichauts, ne pas céder à la panique devant le stock de patates, les courgettes à répétition ou les aubergines dans tous leurs états !
Fallait savoir décliner les légumes élus dans toutes ses recettes, accepter de bouffer pendant une semaine entière des artichauts (encore) ou le légume choisi sans craindre l’overdose ! A moins de nettoyer, faire blanchir et congeler fissa.
Mais à l’époque tout le monde n’avait pas de congélateur.
Pendant des années notre bande de copains a charrié ouvertement Guy (en le traitant de radin) mais un net changement émerge depuis quelques temps.
Il y a peu, lors d’un repas entre amis, l’anecdote a refait le tour de la table.
Nous en avons conclu qu’il serait peut-être grand temps pour nous tous d’adopter le système, vu la baisse de nos pouvoirs d’achat et les prix des aliments en augmentation constante !
Moralité de la fable :
En définitive, nous sommes tous en train de virer radin !
La voix
chantante m’avait accroché tout de suite. La voix avec un léger accent que je devinais espagnol butait sur certaines syllabes.
La jeune femme était
assise en tailleur, loin devant moi et donc je ne voyais que son dos et une longue chevelure auburn désordonnée et bouclée retenue par un chouchou bleu.
Seulement une voix et une chevelure et tout de suite on devinait la grâce. Celle que certains êtres possèdent
naturellement et dont ils ne sont la plupart du temps même pas conscients. Après, elle s’était levée. Elle avait le profil de madone d’une statue d’église.
Le lendemain, nous nous
étions retrouvés dans le même groupe d’approfondissement. Cette fois-ci, elle était placée en face de moi. La chevelure était toujours en désordre et sans la retenue du chouchou, tombait sur ses
épaules rondes. Le teint était mat, des yeux gris vert couleur de torrent pyrénéen lui donnaient un air farouche renforcé encore par cette voix si prenante traversée de fulgurances. A chacun de
ses mouvements, de longs et fins pendentifs en argent ciselé oscillaient à ses oreilles.
Lourdès était d’une beauté absolue mais il était évident qu’elle ne le savait pas.
Je l’ai reconnu tout de suite la vieille dame aux cheveux blancs née en Hongrie. La dernière fois que nous
nous étions croisées remontait au mois de janvier 2004. Ce qui nous avait rapproché cette année-là ? C’était ce séjour Jacques Castermann (immense maître d’Aïkido) où, elle et moi au milieu
du groupe nous avions à gérer nos problèmes de dos. Nous avions à accepter notre différence, nous avions à accepter de ne pas pouvoir tenir les postures debout aussi longtemps que les
autres. Mais dans l'étrange exercice proposé par Castermann de cheminer les uns derrière les autres le temps du Boléro de Ravel, nous nous étions surprises de tenir jusqu'au
bout.
La musique servant de support à tant de pubs avait pris alors pour nous une autre dimension, nous avait portée, transportée, nous avait insufflée une énergie qui nous avait prises au
dépourvu.
Donc nous nous reconnaissons et nous tombons dans les bras l’une de l’autre. Elle a bien changé cependant en quelques années.
A la première soirée, la vieille dame aux bons grands yeux clairs et aux poils blancs sur le menton, bonne
conteuse, me décrit la Hongrie d’avant le rideau de fer.
Le deuxième soir c’est avec beaucoup de verve qu’elle me narre sa venue en France pour étudier, sa rencontre
avec l’étudiant en médecine qui allait devenir son mari et lui faire cinq enfants avant de s’en aller avec une jeunette… amie de sa fille…
A la troisième soirée elle reprend le fil de son récit devant nos tasses de tisane. Sans aucune amertume dans
la voix, sans laisser transparaître aucun regret elle explique : comment aurait-elle pu lutter contre une nana de vingt ans, elle qui venait d’en avoir cinquante ? Il fallait le
comprendre cet homme…
Et puis Marika parle de son père : Bela Emanuel, peintre. En 1953, l’homme avait fini par fuir la
Hongrie car les communistes au pouvoir lui avaient supprimé les commandes d’état et l’avaient relégué dans le rôle d’un professeur de dessin anonyme. Arrivé en France avec une renommée
internationale, ayant vendu des tableaux pour des musés de New York et de Londres, le maire de Paris, Taittinger, lui commande son portrait.
Donc, tous les jours Monsieur le maire envoie une voiture avec chauffeur chercher le peintre. Le deuxième
jour, Bela Emanuel tache sa chemise mais le lendemain le peintre remet la même chemise. Et pendant toute la durée du portrait, au grand dam de sa femme et de sa fille, il s’obstine à ne porter
que cette chemise.
Le portrait fini, le peintre dit à sa femme :
- - Bon, d’accord, donne-moi une chemise
propre.
Et il la met dans un paquet qu’il fait porter au Maire avec un
mot à l’intérieur : « Monsieur Le Maire, ma femme et ma fille me disent que c’est une honte d’avoir remis la même chemise tous les jours alors que j’en possède d’autres. Pour bien vous
montrer que c’est le cas, je vous en envoie une propre ! »
Taittinger rira tellement qu’il lui fera porter une caisse pleine de bouteilles de champagne.
Ce matin dans la salle à manger de la résidence où se déroule le séminaire, le petit déjeuner est
pris dans un silence à peine modifié par les bruits des couverts manipulés, je suis assise juste en face d’un ogre. L’ogre assis en face de moi a l’allure d’un gentleman désinvolte dans la
soixantaine et plus beaucoup de cheveux (mais pas de barbe). La bouille est sympathique malgré des bajoues un peu lourdes. Les yeux où flottent des nuages sont bordés de cils blancs et de poches
en dessous.
L’ogre a commencé par s’attaquer à un yoghourt
puis il a épluché une orange qu’il a mangé en buvant du thé
ensuite il a beurré une tartine de pain complet, a mis du miel dessus,
puis a recommencé avec une deuxième,
puis une troisième.
peu après, l’ogre s’est préparé dans une assiette creuse une sorte de gloubi-boulga en mélangeant :
des céréales, du lait de soja, du miel et des raisins secs
puis il a mangé une pomme,
s’est refait une tartine,
a épluché une banane qu'il a coupé en rondelles avant de l'ajouter à ce qui lui restait de
gloubi-boulga
s'est refait une autre tartine,
très tranquillement encore une autre
un peu plus tard, il a pris son bol entre les mains et a bu quelques gorgées.
Tout le monde avait déjà fini son petit déjeuner depuis belle lurette, l’ogre était le dernier qu’on
entendait déglutir… poser son bol, sa cuillère sur la table en bois, les reprendre dans le silence assourdissant. Or il faut savoir qu’une règle était établie : personne ne se lève de table tant
que quelqu’un continue à manger. Et il faut vous dire que dans mon cas, j’ai toujours la trouille d’être la dernière... une crainte puérile partagée par d’autres.
Enfin l’ogre a plié tranquillement sa serviette et tout le monde s'est levé. Une fois debout, j’avais une vue
plongeante vers l’intérieur du bol de mon voisin.
Ben ça alors, l’ogre n’avait pas fini son thé !
Ce mec-là se tient raide comme un manche à balai, il n’a pas l’air de rigoler tous les jours ! Ce matin, lors
de la séance questions-réponses avec le psychothérapeute il prend la parole et les traits sévères affirment :
- Cela fait vingt neuf ans que je n’ai pas vu mon fils aîné !
Bigre ! Le vieux monsieur explique dans la foulée qu’avec son fils, il y a justement vingt neuf ans en arrière, ils avaient failli en venir aux coups. A cause ? Bah ! Deux choses pas si
graves…
Depuis son fils lui a fermé sa porte et alors, basta, terminé, finish !
Le sapajou ajoute ensuite qu’il s’est remarié, d’ailleurs sa deuxième femme avec laquelle il a eu deux autres enfants est là dans l’assistance. Haut et fort, il clame que chez lui la porte est
grande ouverte, dans les deux sens… et que par le biais des autres enfants, il l’a fait savoir au fils honni.
Entre parenthèses il a cinquante cinq ans maintenant ce fils...
Bon, d’accord, sa femme ici présente peut le confirmer, il est un père autoritaire…
En même temps, le constat est que ce fils perdu de vue depuis vingt neuf ans ne lui manque pas vraiment.
En même temps, ce garçon-là a eu deux enfants qu’il ne connaît pas… l’homme soudain a la barbe qui tremble (que cachent-ils donc tous ces hommes derrière leur barbe ?)
Sa question est :
« faut-il, doit-il écrire une lettre à son fils ? Bon, il y a ces deux points à éclaircir… Les deux points pas très graves… qui ont tout déclenché. Il faudra tout de même revenir là-dessus
n’est-ce pas ? »
La réponse tombe.
Oui, bien sûr, il faut écrire à ce fils et dire que la porte est ouverte mais surtout pas de conditions. Le passé est passé.
Oui la porte est ouverte, point final, pas de conditions.
Le sapajou déclare alors qu’il sait ce qu’il lui dira :
- Tu crois pas que tu aurais pu venir avant P’tit con ?
Toute la salle éclate de rire. Le psychothérapeute qui anime cette réunion rit aussi :
- Peut-être qu’il vaudrait mieux éviter P’tit con !
Puis il se tourne vers la femme du sapajou :
- Et vous Fabienne, qu’en pensez-vous ?
L’épouse est en larmes et balbutie juste :
- Enfin !
En l'an 2000, j'ai décidé de changer de vie ! Disons, de me consacrer à ce que j'avais toujours rêvé de faire : écrire... Alors, depuis, j'écris... pour les grands et pour les petits !