Aujourd'hui, dernier jour du joli mois de mai et voilà... qu'il pleut
!
Peut-être en profiter pour se rappeler...
Théoule
Le voilier a
jeté l’ancre dans la baie abritée du mistral entre l’entrée du port et la falaise aux maisons. Les imposantes demeures ont l’air de grosses coquilles d’escargot vides car malgré l’heure
avancée dans la matinée, aucun signe de vie n’apparaît devant les façades visibles de la mer. A l’abri des vagues mon esprit divague. J’échafaude des secrets de famille, de machiavéliques
héritages, des affaires louches sous les belles apparences quand la voix de mon époux me fait sursauter :
- Quelle
maison tu achètes… Moi, je crois que je vais prendre la blanche avec la
tente jaune et le parasol assorti, elle a un accès
direct à la mer !
- Elles ont
toutes l’accès direct à la mer, un escalier creusé dans la falaise et lepetit quai privé au bord de l’eau… … Moi, j’achète l’autre blanche, celle de gauche. Regarde un peu ce fronton Art déco la
gueule qu’il a !
- Et cette
maison étroite avec sa tour et ses volets menthe fraîche !
- Elle… la
route est juste derrière !
- Le train
aussi !
- Mais c’est la ligne de
chemin de fer qui longe le bord de mer, cette ligne est
mythique ! Elle passe même où il n’y a pas de
route… je l’ai prise une fois, les paysages sont sublimes… vertigineux…
- Peut-être ma chérie… mais en attendant, ici, le train,
pratiquement il passe dans
ton jardin !
Il est difficile le capitaine.
Je lève alors la tête vers le haut de la falaise, une bastide ocre se détache sur un ciel d’azur pur, on a l’impression qu’elle va tomber dans la Méditerranée. Quatre immenses et somptueux palmiers donnent l’impression d’avoir été planté de part et d’autre de la majestueuse demeure dans le seul but d’une artistique mise en scène. Je serai curieuse de savoir qui a choisi de vivre en surplomb de cette trop haute falaise rouge dans un décor qu’on croirait sorti d’une histoire d’Agatha Christie ou d’un film d’Alfred Hitchcok !
Mes yeux reviennent se poser sur la toute blanche demeure Art déco, décidément cette baraque a de la classe !
Je m’invente un autre destin derrière les larges baies vitrées. Entre les collines vert foncé et le port bordé par son château de pierres brunes une résidence pour des vacances d’insouciance, sans problèmes de budget, ayant pour seul objet quelle robe mettre pour le souper servi par un domestique stylé.
Un TGV irisé passe avec paresse. Il n’a pas tort mon mari. C’est vrai que des trains n’arrêtent pas de circuler dans un sens, dans l’autre. Tiens, encore un qui vient de siffler… Changeons de destin.
Je me tourne vers l’entrée de la baie, un, deux, trois, quatre… huit mini-paquebots sont venus se mouiller pendant que j’habitais ma villa d’apparat. Etincelants sous le soleil, palaces flottants de milliardaires récidivistes, ils barrent l’horizon vers les îles de Lérins. Là c’est trop. Les inaccessibles univers des rutilantes résidences quaternaires au design hight tech bloquent mon imaginaire.
Moins ostentatoire, à quelques encablures de notre bateau, un voilier en acier de seize mètres environ, défiant les lois de la flottaison se balance. Il n’est pas rare de rencontrer sur les flots ce genre de bateau équipé pour faire le tour du monde. Mais pour l’instant, le bric à brac ahurissant empilé sur le pont : panneaux solaires, éolienne, linge qui sèche, seaux, bidons, semble attendre le grand départ sous l’unique présence à bord d’un berger allemand somnolent.
Encore une existence différente à imaginer. Quoique, réflexion faite, le confort précaire de la roulotte maritime à l’année ne me tente pas. Tant qu’à s’évader, évadons-nous vers le faste !
Je me tourne à nouveau vers ma blanche bâtisse préférée ourlée d’aloès panachés dégringolant vers l’eau salée. Mon regard s’accroche à des détails qu’il faudrait enregistrer coûte que coûte. Au premier étage : des fenêtres ornées de fer forgé, un balcon avec des balustres, serait-ce la chambre du maître de maison ? Dans le parc à l’abri de la haie de pittosporum et des massifs de buis taillés au cordeau une balancelle cernée par de gracieuses fleurs d’agapanthes en train de faner a l’air de s’ennuyer ; qui s’y réfugie, une belle romantique, des adolescents boudeurs, une gamine rêveuse ?
- Flash back - arrivent en pointillé les coussins orangés sur lesquels s’est balancée mon enfance.
Au rez-de-chaussée un salon se devine en arrière des portes–fenêtres grandes ouvertes encadrées de lourds rideaux ivoire retenus par des embrases. Ah ça, c’est embêtant je n’aime pas les rideaux retenus par des embrases.
Je me retourne vers le large.
Une colonie de gabians vient se poser sur l’eau.
Eux, ils habitent l’air, ils habitent le ciel, ils habitent le vent. Ils sont libres.
(Texte paru dans le N° 73 de Filigranes "Mille maisons plus une"
)