Voici donc ma participation à Rejouer le monde, volume 3 de la série :
"Dans le miroir des mythes".
Revue Filigranes : www.ecriture-partagee.com
"Enfant déjà, nous inventions des mondes. Nous construisions des routes, nous soulevions les montagnes."
Extrait Edito N° 97 Michel Neumayer
Pan !
Du gris, dans le ciel, au sol, partout, où que son regard se tourne.
Gris, aussi, le large fleuve qui roule bruyamment, au-dessous du
muret humide où Peter s’est assis.
Souvenir sans mélancolie, surgi d’un passé très récent, l’image
de sa paisible lagune aux transparentes eaux turquoise se juxtapose.
Un passant nonchalant déambule à deux pas en fumant. Tels des
signaux indiens envoyés de son ancien univers, les ronds bleutés
s’élèvent dans l’air froid : « eh bien mon garçon, on dirait que tu
en as fini avec ton reflet dans le miroir ! » semblent dire les volutes
à Peter.
Le jeune homme sourit, se remet à marcher. Les gens qu’il croise
ont-ils conscience du bonheur d’exister, pour de vrai ? Lui, s’étonne
encore de ces battements dans sa poitrine ; n’en finit pas d’apprivoiser
ce sentiment doux, chaud, large, plein, éblouissant comme une plage de
sable fin à perte de vue sous un soleil éclatant, qui l’emplie et le comble
au-delà de tout.
Pouah ! Tout de même, désagréable l’atmosphère chargée des
méchantes particules de la société qu’il a choisi de rejoindre. Vite,
une pensée agréable.
Voilà, le subtil mélange d’iris et de jasmin, qu’elle met tous les matins vient
lui chatouiller les narines. Cependant, s’il traîne et rêvasse ainsi, il va être
en retard !
Subitement, un léger bruissement d’aile contre son oreille, une voix
cristalline, soupçon larmoyante :
― Hello Peter…
Il sursaute :
― Toi ? Ici ? Mais…
― Oui. J’ai pris un grand risque en venant. J’ai enfreint toutes les
règles. Seulement, comment te parler autrement ? Peter, là-bas, depuis
ton départ,
rien ne va. Plus envie de s’amuser. Or, tu le sais bien, (long soupir) si nous
ne jouons plus, nous n’existons plus…
― Hé ! murmure-t-il, y a pas que le jeu. Tu n’imagines même pas toutes
les découvertes que j’ai faites depuis mon arrivée. La musique, la peinture,
les livres. Et… la poésie. En ce moment, j’apprends un poème d’un certain,
euh ! Jacques… Jacques… Prévert. Tu sais, c’est passionnant d’apprendre.
― Pathétique ! En plus, c’est tellement moche et lugubre ici !
Tout en parlant, Peter et le minuscule personnage susurrant à son oreille
arrivent dans un jardin.
― D’accord, il y a des choses très laides dans ce monde-là, mais regarde,
s’écrie-il, pointant un doigt sur des sculptures disséminées à l’entour.
S’approchant d’une des statues, il se met à la caresser amoureusement.
Puis, doucement, en frissonnant :
― Celle-là lui ressemble…
― Oh ! Peter, c’est donc ça l’amour ?
Un prodigieux rire le secoue et il a la sensation de recevoir une flèche
de lumière en plein cœur :
― OUI, répond Peter Pan.
Jeannine Anziani