Aïe !
Il existe un secret pour avoir
un beau jardin disent les jardiniers :
« 1/ tailler – 2/ tailler –
3/ tailler. »
Et pour avoir ses papiers bien
rangés faut-il ?
« 1/ jeter – 2/ jeter – 3/ jeter ? »
Paperasses, courriers, factures, mes écritures... déjà ne pas tout mettre dans le même panier.
Pour ce qui est de l’officiel, suffit de suivre les lois en vigueur : trois, cinq, dix ans ; point de
problème existentiel le jour où il faudra envoyer aux ordures.
Reste… le reste.
LE journal intime de l’adolescence, des poèmes maladroits, le
début d’un roman… LA vieille boîte en carton bleu lavande fanée enserrant billets doux, amicales bafouilles…
Compléter avec :
- carnets de bord, de voyage, cahiers quadrillés emplis de
paragraphes recopiés d’auteurs favoris, plus LE plus LA plus LES…
La montagne grandit… à côté des livres… des photos, images et
mots.
Sauf qu’à la gare de triage le côté sentiment le dispute au
complément.
Où la première catégorie l’emporte d’une manière outrageusement
outrancière notamment dans MA chambre.
Telle la grenouille voulant se prendre pour le bœuf, la
catégorie préférée enfle démesurément à côté du Prévert jauni senteur grimoire-déniché-au-fond d’une-malle-abandonnée, de… des… trop de trop de trop de sublimé favori…
Le problème apparaît, aigu, lorsqu’il s’agit d’enlever
d’iconoclastes grains de poussière ayant pris leurs aises, pauvres inconscients sacrilèges, sur la moindre parcelle de l’amoncellement littéraire et graphique.
Ajouter :
- au plus près du lit, un vénérable range-documents en cuir
noir ventru, joufflu, bouffi, prêt à exploser, impossible à refermer qui, cela ne rate jamais, dés que je l’attrape pour le nettoyer, s’entrouvre en laissant échapper ses trésors en ordre
dispersé. Une évidente urgence s’impose, casse-tête…
Que soustraire de la pochette noir
d’ébène ?
Quel récit veillant sur mes nuits évincer de la
chambre ?
"Quoi" mettre à la poubelle ?
En tout cas évidemment pas…
« Celui-ci » : essai raté, le bougre est
revenu !
« CELLES-LÀ ? » ah non, pas question !
Quant à ces derniers
scribouillis, vite les insérer en douce dans le range-documents ballonné au lieu de les laisser batifoler !
« Dans chaque mot il y a un oiseau aux ailes repliées qui attend le souffle
du lecteur » (Levinas).
La perspective de voir s’évanouir à jamais une inestimable parole fait chavirer l’âme. N’empêche, l’humanité a peut-être perdu un
volume essentiel dans l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, l’humanité a néanmoins continué sa route.
Alors, futile sentiment ou absolue nécessité que de vouloir amasser comme un magot à laisser à la postérité phrases éparpillées ou regroupées sous la forme d’un
objet nommé livre.
Qu’envoyer valser par-dessus les remparts abritant tant
d’écrits et mes incertitudes ?
Mon cœur balance.
Et si j’empilais les uns sur les autres telle une nouvelle tour
de Babel, les bouquins chouchous, les recueils chéris, ces clichés du passé, mes si précieux feuillets qu’un chinois ne comprendrait pas, toutes ces pelures de ce qui fut du bois
vivant.
Le tas monterait hardiment à l’assaut du ciel… Après je prendrai une échelle et m’asseyant sur le sommet je jouerai
à "La princesse sur le pois" *.
Aïe ! Quelque chose de froid, dur, désagréable, m’a
procuré une vive douleur. Sûrement je vais avoir un bleu sur la fesse. Qu’est-ce ?
Je crois deviner ! Ce doit être, romantiquement gardé… le
brouillon de cette lettre de rupture.
Voilà, c’est ce truc là qu’il faut jeter.